L’intention du Groupe Renault de cesser le développement de ses moteurs en Formule 1 suscite une vive émotion et pour cause, elle menace des centaines d’emplois directs, sans compter les sous-traitants. Si le Losange promet un reclassement, c’est un savoir-faire français qui est remis en cause à l’échelle internationale. À l’heure où Paris 2024 fait rayonner le sport tricolore, les organisations syndicales et politiques se mobilisent pour changer la position du Groupe.

Alpine pourra-t-il toujours disposer d’un moteur Renault au-delà de 2025 ? La Direction semble avoir son idée sur la question. Les raisons, nous les avons exposées dans cet article visant à expliquer l’approche stratégique considérée. En coulisse néanmoins, l’heure est à la mobilisation, et les acteurs s’organisent pour tenter d’inverser le cours des choses. Plusieurs actions " pacifiques " sont menées, portant le sujet jusqu’à la Présidence Française.

Viry-Châtillon, c’est en effet un fleuron de la technologie de pointe française, avec un palmarès hors-norme fait, entre autres, de 23 titres de Champion du Monde en Formule 1. 550 personnes y travaillent avec passion, et sont aujourd’hui bien sûr dévastés, de l’aveu des syndicats qui tentent, via la presse, de faire entendre leur voix. Des pétitions sont également disponibles pour soutenir ces initiatives.

" L'arrêt du programme Power-Unit F1 2026 à Viry résonne comme un arrêt définitif des activités F1 en France, laissant la part belle aux Anglais, aux Italiens, aux Allemands, aux Suisses, aux Japonais et aux Américains ", précise un communiqué de presse diffusé par les salariés de Viry-Châtillon. " Ultérieurement, la barrière technologique sera trop haute à reconquérir, les compétences seront disséminées, les investissements initiaux trop coûteux pour imaginer un retour dans la discipline. "

" La fin de l'engagement de Viry résonne plus loin que le changement d'activité des quelques centaines d'ingénieurs et techniciens du site et de l'ensemble de leurs partenaires industriels. Ses équipes développent l'un des quatre moteurs les plus efficients au monde. Les voitures de Formule 1 représentent l'un des plus grands accomplissements technologiques, à l'image d'Ariane, du Concorde, du TGV, des centrales nucléaires. La France en est capable à Viry-Châtillon ", ajoute-t-il.

La frustration est palpable et légitime. Au-delà de l’Histoire fructueuse de l’entité, Viry-Châtillon travaille depuis des années sur le projet 2026, avec des résultats probants. Surtout, le manque de présence du bloc français sur les grilles aujourd’hui – aucune équipe cliente – et le déficit actuel de performance sont principalement les conséquences de choix stratégiques discutables, faits notamment de réorganisations trop nombreuses et de moyens techniques vieillissants. Depuis, de nombreux investissements ont été menés, faisant du site français un lieu d’une grande modernité, tandis que la stabilité dans la Direction était enfin en place.

" Depuis 2021, l'écurie souffre d'une intervention répétée de la direction du groupe, imposant pas moins de quatre directions techniques successives à Viry, ou encore quatre directeurs d'équipe en quatre saisons ", rappelle les salariés. " Cette instabilité prive l'équipe d'une construction sur le long terme nécessaire au succès en Formule 1. "

Si le moteur est moins mis en avant ces jours-ci, et si Renault justifie entre autres l’arrêt du moteur en raison de la volonté de voir Alpine devenir un constructeur 100% électrique – en plus des coûts associés -, la FIA et la FOM tentent de replacer le bloc au centre du jeu en 2026. Et la concurrence s’y intéresse puisque Ford, Audi et Honda travaillent ardemment sur un powertrain, en plus de Mercedes et Ferrari. Cela sans compter que Renault s’est fortement investi pour définir la réglementation à venir.

Le développement suivait son cours jusque-là, avec de bons résultats obtenus. Viry-Châtillon a tenu notamment à rappeler que les principaux jalons ont tous été tenus, avec des niveaux de performance à la hauteur des attentes.

" La cible était de démarrer le premier moteur Alpine 2026 à la fin du premier semestre 2024, soit un an et demi après la genèse du projet ", révèle le site français. " Le 26 juin 2024, le RE26A, nom donné à la première version 'usine' de l'AR26, a réalisé son premier démarrage au banc moteur n°6 de Viry-Châtillon signant ainsi un succès quant au délai ciblé. "

" Le PU dépasse les 400kW de performance dès les premières heures de fonctionnement, pour approcher de près l'objectif performance attendu pour la première course de 2026. Le rendement démontré dépasse les 48%. L'accent fut aussi mis sur les enjeux d'intégration et les gains d'encombrement sont significatifs : longueur globale PU réduite de 12% offrant une marge conséquente de développement pour l'intégration châssis ", poursuit le communiqué.

" Le PU est en deçà de la masse mini et sera ballasté [lesté] pour respecter les contraintes réglementaires. Aucune défaillance de fiabilité critique n'a été signalée. Le RE26A est perçu par l'ensemble des équipes de Viry-Châtillon comme un franc succès, un moteur bien né, avec un potentiel affirmé, à un an et demi de la première course, de porter haut les ambitions d'Alpine F1 Team ", ajoutent les salariés.

Il ne semble donc pas que la performance ne justifie aujourd’hui l’abandon du moteur Renault en Formule 1. Les coûts sont la principale motivation, ainsi que la baisse de notoriété et pertinence d’un bloc thermique pour une marque Alpine se tournant vers l’électrique. Viry-Châtillon rappelle toutefois le rayonnement incroyable de la discipline à l’échelle mondiale, et nous de rappeler également l’importance finalement de l’hybride au-delà de l’Europe, où les blocs zéro émissions ont encore un long chemin avant d’être adopté.

" La Formule 1, avec des audiences annuelles de 1,5 milliard de téléspectateurs, notamment via le Grand Prix de Monaco, dixième évènement sportif le plus suivi au monde, fait résonner le savoir-faire et l'excellence française ", précise le motoriste. " La Formule 1 est la plus grande compétition automobile au monde, et elle se regarde en famille, entre amis, devant la télévision ou aux abords des circuits. Cet exploit nous le partageons 24 week-ends par an, à travers le monde entier, pour montrer que la France en est capable. Que l'on soit sensible ou non aux sports mécaniques, ces monoplaces qui s'affrontent sur les circuits écrivent Grand Prix après Grand Prix un morceau de notre histoire sportive nationale. "

" De manière plus prosaïque, notre engagement en Formule 1 démontre l'excellence française, supporte le développement économique de l'industrie automobile, et nous permet parfois d'être à l'avant-garde des technologies qui se retrouvent sur nos routes. Le site de Viry, à travers ses projets de haute complexité technologique, catalyse plus largement le développement d'un parc de près de 300 partenaires techniques, dont 60% sont français, pour un engagement de près de 100 millions d'euros chaque année. Enfin, en tant que centre R&D de pointe, il demeure acteur clé d'un maillage collaboratif d'ordre national sollicitant, parmi d'autres, Airbus, Safran, Arianespace et laboratoires de recherche publiques ", ajoute Viry-Châtillon.

Un reclassement est proposé à chacun des salariés, sur des projets hydrogènes et sur les batteries, en plus de pouvoir travailler sur les autres programmes sportifs, comme l’Endurance, le Rallye-Raid ou la Formule E. Certainement pas suffisant pour motiver des personnes assoiffées par le défi représenté par la Formule 1. Bruno Famin, jusque-là Team Manager d’Alpine F1 Team, a la lourde tâche de travailler sur cette transition.

" Le plan de transformation du site, qui devrait être définitivement entériné le 30 septembre 2024, consiste à faire migrer les ressources vers d'autres projets conduits par Alpine Racing (Endurance, Formula E, compétition client, moteur à combustion hydrogène d'une hypercar, etc.) déjà saturés en personnels, ou bien de reclasser l'ingénierie sur des projets innovants, prétendument utiles à l'industrie de série, mais non définis à ce stade ", a confirmé Viry-Châtillon.

La démarche des salariés de Viry-Châtillon est donc très claire : il faut maintenir le moteur Renault en Formule 1 et l’ensemble de cette activité. Au-delà de l’impact social et technologique, il s’agit aussi de sauver une Histoire française, et de montrer ce savoir-faire aux yeux du monde. Une Alpine sans un moteur Renault n’a aucune saveur, et rien de français. Le drapeau tricolore visible sur sa carrosserie, où encore l’hymne du podium perdront de leur légitimité.

En outre, Renault a construit sa légende dans les moteurs, a fourni les meilleures équipes du monde, a gagné les plus belles victoires. Gagner avec un bloc " étranger " va à l’encontre de son ADN, et influencera nécessairement l’intérêt des amoureux de la marque Alpine, sans compter la motivation du personnel du Groupe, très attaché au programme F1.

Est-ce déjà trop tard pour espérer un revirement ? Difficile de se prononcer. Le développement se poursuit jusqu’à la fin du processus social prévu en septembre, et la politique va travailler activement pour sauver ce programme et convaincre la Direction de revoir sa position. C’est l’unique espoir qu’il reste pour voir ce fleuron rester en vie, et donner à Alpine ce cœur Renault dont nous sommes TOUS extrêmement attachés.

" Voir aujourd’hui Alpine F1 se tourner vers un moteur étranger est un reniement de cette vision et cette décision marquerait un abandon honteux de l’héritage de l’équipe et de 50 ans d'histoire et de savoir-faire dans la haute technologie ", affirment à raison les salariés de Viry-Châtillon. " M. De Meo nous avait affirmé que l'âme de la marque Alpine devait se nourrir de ses racines et qu'il n'était pas question de les couper. Il nous avait affirmé que l’argent n’était pas un problème et que seule l’innovation comptait. "

" Nous ne comprenons pas ce qui justifie de tuer cette entité d’élite qu’est le site de Viry-Châtillon et de trahir sa légende et son ADN en greffant un cœur Mercedes dans notre F1 Alpine. L’annonce de la fin du développement et de la production des groupes propulseurs français pour la Formule 1 est incompréhensible. Nous ne pouvons accepter qu’Alpine et le Groupe Renault abîment leurs images, c’est pourquoi nous demandons à M. De Meo et son conseil d’administration de renoncer à cette décision ", ajoute-t-il.

Nous laissons cet article avec un dernier mot pour les salariés de Viry-Châtillon dont on ne peut que saluer le courage et la détermination à sauver ce programme. Depuis près de 50 ans, nous vivons des émotions exceptionnelles grâce à vous. 23 titres, ce n’est pas rien. Mais il s’agit peut-être aujourd’hui de la course la plus importante, la plus difficile à mener. Elle dépasse certainement le combat d’un 24e titre dont on rêve tous. Ce rêve, vous le maintenez éveillé, en espérant que la Direction entendra vos demandes, et partagera de nouveau cette émotion indescriptible d’une victoire Alpine-Renault, symbole d’une France à la pointe de la technologie. Merci à vous.