Dans l’ombre de son engagement en Formule 1, Alpine travaille depuis plusieurs mois à la préparation de son grand retour dans la catégorie reine de l’Endurance : l’Hypercar. Ce programme sportif présente de grandes ambitions, avec la volonté de chercher la victoire aux 24 Heures du Mans, mais également en Championnat du Monde WEC. Pour ce faire, la firme sportive du Groupe Renault développe l’A424, un prototype LMDh d’origine Oreca, dont les premières images en piste sont diffusées depuis cet été.

On le sait, le sport automobile représente la pierre angulaire d’Alpine pour faire connaître son nom à travers le monde. Le plafond budgétaire instauré en Formule 1 et cette détermination forte à faire du A fléché un emblème connu de tous ont motivé les dirigeants du Groupe Renault à initier cet engagement majeur en Endurance. Le WEC a de toute façon le vent en poupe, avec une ribambelle de constructeurs impliqués, comme Toyota, Peugeot, Ferrari, Porsche, BMW, Cadillac ou encore Lamborghini.

Se faire une place au soleil dans un tel plateau ne sera certainement pas chose aisée. Alpine a cependant tous les arguments pour réussir. Elle s’est tout d’abord associée à de grands noms, proches de l’Endurance mais aussi du Groupe Renault. Ainsi, l’A424 est une base Oreca. Le moteur, un V6 3.4 Turbo de 675 ch, est fourni par Mécachrome, partenaire en Formule 1 et fournisseur de la Formule 2. Michelin s’ajoute à ce panel d’associés pour les pneumatiques. Enfin, et surtout, l’exploitation est gérée par Signatech, LE grand partenaire d’Alpine depuis son retour en 2013.

" Nous sommes en train de créer une équipe qui fonctionne plutôt bien ", commente Bruno Famin à L’Argus. " On cherche avant tout à avoir une bonne osmose entre l’équipe d’exploitation, représentée par Signatech, et la conception, rôle qui revient à Alpine. Il y a des gens qui viennent de Viry-Châtillon, des gens qu’on connaît déjà pour la plupart. Pour la partie exploitation, celle qui consiste à faire fonctionner la voiture sur piste, on a une entière confiance en Signatech. Les deux entités se complètent très bien. Aujourd'hui, nous sommes 56 personnes à travailler sur ces essais. "


Depuis cet été, Alpine orchestre une campagne de communication aux petits oignons. L’A424 a poussé ses premiers cris le 5 juillet, puis elle a pris la piste lors de trois séances d’essais, cumulant plus de 4000 kms. À chacune de ses apparitions, une nouveauté visuelle. L’auto est belle, fluide et reprend les codes de la marque Alpine. Au-delà de son bleu apparu lors de la dernière session, les feux à l’arrière reprennent le A fléché pour un effet incroyable. D’ailleurs, le centre Design de la marque a été directement impliqué dans le projet.

" Notre équipe s’est véritablement passionnée pour ce projet, car la règlementation en Hypercar offre aux constructeurs un véritable opportunité pour s’exprimer en termes de design ", explique Antony Villain, Directeur du Design Alpine. " La livrée bleue de l’A424 permet de souligner toutes les lignes et galbes qui étaient atténués et beaucoup moins perceptibles sur la version noire. On retrouve des courbes qui avaient disparues de la majorité des voitures de course et, par conséquent, on y retrouve une certaine sensualité. L’emblème historique de la marque au niveau des feux arrière est aussi fortement reconnaissable à distance. Tous ces éléments ont été intégrés sans oublier l’objectif final : la performance en course. "

Le design est une chose, la performance en est une autre. À ce jeu, Alpine travaille dur pour préparer son A424. Le programme des différentes sessions d’essais était particulièrement chargé, parfois chahuté par une météo capricieuse. Les enseignements sont cependant encourageants avec une progression minutieuse. S’il reste du boulot, et que l’équipe s’attend à souffrir en début de saison 2024, l’optimisme est de rigueur. Avec la conviction de disposer d’une arme redoutable une fois parfaitement développée.

" Les premières observations sont très positives ", confirme Bruno Famin. " Nous n’avons jamais été embêtés, la voiture étant fonctionnelle rapidement. C’est un vrai avantage, car cela nous permet de rouler et de nous attaquer aux principaux problèmes que nous avons pu rencontrer, comme la température sous et sur le capot, avec des modifications qui vont arriver au niveau de l’échappement. Le plus gros défi, c’est d’arriver à comprendre les systèmes de récupération d’énergie. "

" C’est tendu [sur le planning] ! La saison commence un mois plus tôt (le 2 mars 2024 au Qatar, ndlr), et ça je dois avouer qu’on ne s’y attendait pas trop. Je ne vous cache pas qu’avec un mois de plus dans le planning, on aurait été mieux. La bonne nouvelle, c’est que nous n’avons pas détecté de problème majeur ou bloquant, comme une pièce qu’il faudrait refaire et qui prendrait des semaines. Notre voiture fonctionne, mais c’est architendu et nous ne serons pas prêts à 100 % à Doha ", ajoute-t-il.


" La voiture est clairement bien née, que ce soit en termes de comportement ou de fiabilité, ce sont honnêtement de d’excellents débuts, même si la route est encore longue ", commente de son côté Nicolas Lapierre, pilote de développement, à Endurance24.fr. " On a pris plaisir à la piloter, je la trouve belle aussi, donc c’est plutôt positif sur de nombreux aspects. Après, évidemment, il y a encore beaucoup de travail qui nous attend […] mais on a une équipe solide derrière nous qui a une bonne connaissance de tout ça. Ça aide aussi beaucoup, on ne se lance pas dans l’inconnu, c’est un gros plus. Pour l’instant, la synergie se passe bien. "

En parallèle des essais, Alpine s’active à définir la composition de ses équipages. La firme sportive du Groupe Renault a l’intention d’engager deux A424, et souhaite s’attirer quelques noms pour donner du poids à son histoire marketing. Rien n’a encore été confirmé à ce sujet, mais plusieurs pilotes ont déjà pris le volant de la LMDh française. Un candidat ressort toutefois plus que les autres, c’est celui de Mick Schumacher.

L’ancien pilote Haas-Ferrari, aujourd’hui sous-contrat chez Mercedes, a été invité à prendre le volant de l’A424 lors des derniers essais du mois d’octobre. Un roulage convaincant à plus d’un titre, ouvrant la voie à des négociations en vue d’une potentielle collaboration. Si rien n’est encore signé, Mick Schumacher pourrait bien devenir la tête d’affiche du programme, en dépit d’un manque d’expérience en Endurance. Le talent est cependant là, et l’apprentissage rapide.

" Ça s’est bien passé ", commente Bruno Famin à propos de l’allemand. " Il ne s’agissait pas de vitesse pure, mais d’apprendre à se connaître, et pour lui de connaître ce genre de voiture et l’équipe. Maintenant, nous devons attendre ses retours pour savoir s’il serait heureux de faire quelque chose avec nous. Et ensuite nous pourrons examiner les conditions exactes, […], Mick a été un pur pilote de monoplace jusqu’à présent, mais c’est un garçon très rapide et intelligent. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il ne réussisse pas si quelque chose se passe entre nous. "

" Je me suis habitué à tout cela assez rapidement ", précise Mick Schumacher. " En termes de roulage, c’est un peu différent parce que vous partagez la voiture. C’est excitant d’une certaine manière. La voiture doit durer 24 heures. C’est un défi différent. Nous sommes en Amérique maintenant pour quelques semaines. L’accent est mis là-dessus. Quand nous repartirons d’ici, nous examinerons tout à nouveau et nous aurons alors, espérons-le, quelques options. "


D’autres noms circulent pour accompagner Mick Schumacher. Alpine doit en effet trouver six pilotes. Présents aux essais et dans l’effectif de la marque depuis plusieurs années, Nicolas Lapierre, Matthieu Vaxiviere et André Negrão sont favoris. Charles Milesi et Jack Doohan sont également cités. Ce dernier, membre de l’Alpine Academy, ne restera pas en Formule 2 la saison prochaine, et ne dispose pas d’une opportunité en Formule 1. Le A fléché pourrait lui proposer un volant en WEC.

" L'écurie [Alpine] est satisfaite du travail que l'on fait et de la trajectoire que l'on emprunte ", explique l’australien à Motorsport.com. " Si la possibilité de rouler là-bas se présente, je consoliderai mes bases et élargirai mes connaissances dans différents domaines, mais l'objectif reste la F1, c'est là que me mène ma trajectoire. C'est sûr, je ne refuserais pas cette opportunité. Ce serait vraiment super de comprendre l'Endurance. "

Alpine n’a pas nécessairement froid aux yeux à l’idée d’engager des pilotes ne disposant pas d’une expérience de l’Endurance, comme Mick Schumacher et Jack Doohan. Leur pointe de vitesse suffit à faire d’eux des candidats naturels, et l’idée d’une mixité avec d’autres candidats plus expérimentés peut s’avérer payante. La firme française sait de toute façon qu’elle devra prendre son mal en patience, et faire de 2024 une année de transition pour apprendre. Et viser plus haut à compter de 2025.

" La saison 2024 sera avant tout consacrée à la formation des pilotes, des équipes et à la gestion de la BOP ", explique Bruno Famin, à L’Argus. " Nous devons aussi apprendre à connaître la voiture après une phase d’essais très courte. Mais impossible d’afficher des ambitions claires avec tous ces éléments. Ajoutez un plateau d’exception avec des concurrents de valeur qui ne vont pas nous attendre. Mais l’objectif est d’être prêts pour 2025 et de se battre devant. On commence ce programme avec beaucoup d’humilité, ce qui ne veut pas dire qu’on n’a pas d’ambition. "


Des ambitions, Alpine en nourrit également pour un programme en IMSA. Le championnat d’Endurance référence aux Etats-Unis utilise la réglementation LMDh, et peut donc accueillir l’A424. D’ailleurs, le prototype français a reçu son homologation et d’insistantes rumeurs circulent autour d’une alliance avec l’écurie de pointe Meyer Shank Racing. Cette dernière utilisait une LMDh Acura basée sur le même châssis que l’Alpine.

Le partenariat avec le constructeur japonais est toutefois terminé, et si l’équipe sera absente en 2024, elle compte revenir pour la saison 2025. Un accord avec le Groupe Renault est néanmoins conditionné par la stratégie commerciale d’Alpine, et en particulier son introduction sur le marché américain. L’étude de faisabilité est en cours, et la volonté d’y aller forte. Un programme sport automobile pour accompagner sa stratégie marketing fait sens, mais le feu vert doit encore être donné, et l’urgence n’est pas là aujourd’hui.

" Nous leur parlons, c’est vrai ", confirme Bruno Famin à SportsRacing365.com. " Ce pourrait être une option, mais nous pourrions en avoir plusieurs. Pour le moment, nous ne poussons pas sur ces questions-là. La priorité est d’être prêt pour le WEC. Nous ferons de notre mieux pour avoir un programme en IMSA, car la voiture est homologuée pour, cela faisait partie de notre cahier des charges. "

" Si l’IMSA devient réalité, cela doit se faire avec l’arrivée de la marque aux USA. Ce n’est pas pour 2024, peut-être pour 2025. Je ne sais pas. Il n’y a pas de nécessité à parler aussi tôt, […], cela dépendra vraiment sur la stratégie d’Alpine, quand Alpine sera de retour là-bas. Ce n’est pas décidé encore ", précise l’homme fort du A fléché.


Alpine pourrait aussi fournir son A424 à d’autres structures en WEC. Une activité cliente recherchée par certains de ses rivaux mais le A fléché n’en fait pas pour autant une priorité. Le plateau Hypercar devient particulièrement dense avec un très grand nombre de programmes usines, trouver un client capable de financer un prototype pour être suffisamment compétitif dans ce contexte ne paraît pas être une mince affaire.

" Une activité cliente, pourquoi pas ? Pas en 2024 c’est sûr, je pense que nous avons assez à faire à présent ", estime Bruno Famin. " Mais s’il y a une opportunité intéressante, pourquoi pas ? Mais pour être honnête, je ne suis pas sûr que le marché client soit énorme, parce que lorsque vous avez déjà 20 voitures usines sur la grille, dépenser pas mal d’argent pour une voiture, ce n’est pas simple. "

Deux autos officielles sur la grille sera donc le format privilégié, en tout cas à court terme. Le programme Hypercar est abordé de façon très sérieuse par Alpine qui a réalisé, depuis son retour en 2013, un parcours exemplaire en Endurance. De nombreux titres acquis en LMP2 et une pige victorieuse en LMP1 ont notamment marqués l’Histoire de la marque ces dernières années. Le défi à venir est aussi passionnant que compliqué, mais c’est dans cette adversité qu’Alpine peut frapper très fort, et asseoir sa notoriété à travers le monde.

Il reste toutefois quelques étapes à franchir d’ici à se mêler à la lutte pour la victoire. Avant d’entamer cette année 2024 qualifiée " de transition ", le A fléché va poursuivre ses essais avec notamment deux séances, l’une mi-novembre à Aragon, l’autre mi-décembre à Portimao. Le nom des pilotes devra également être confirmé, tandis qu’Alpine doit terminer sa campagne sportive 2023 en LMP2. La finale, justement, se tient ce week-end à Bahreïn. Un au revoir à cette catégorie avant de réaliser le grand saut, cette fois avec un prototype maison, bleu comme l’horizon qui, on l’espère, se dessine sur ce bel engagement.